Yaoundé, 05 octobre 2023 (CAPnews) – Certes, elle a toujours sa bouille d’adolescence et cette timidité désarmante caractéristique des femmes du Sahel. Mais, ne vous fiez pas trop aux apparences, Chery Amoa Leila Rahima, 30 ans, depuis le 18 juillet, est une femme de conviction. Ainée d’une fratrie de cinq (quatre filles et un garçon), elle a choisi l’enseignement et les langues par conviction, par amour de l’autre et parce que rien n’est au-dessus des relations humaines. Femme, musulmane et enseignante, Chery A.L. Rahima transcende les altérités. Elle, nous fait voguer sur l’oxymore l’enseignant camerounais.
Chery A. L. Rahima, vous êtes femme, musulmane et enseignante. Que d’aspérités dans un pays comme le nôtre. Quel est votre parcours ?
J’ai un parcours particulier. Certains diraient un parcours assez précoce. Partie du CM1 (Cours Moyen 1ère année) pour directement le secondaire. En revanche, mon cursus au secondaire fut des plus normaux. Je suis arrivée à l’université assez jeune dans la quinzaine. Ce qui rendit mes parents très nerveux, car j’avais choisi d’aller dans une université d’Etat au lieu de la prestigieuse Université Catholique d’Afrique Centrale. Selon eux, à l’UCAC, le suivi est meilleur ainsi que les ouvertures sur plan de l’employabilité. J’y ai passé cinq ans puis j’ai postulé au concours d’entrée à Ecole Normale Supérieure. J’ai été admise dès la première tentative. Après deux années de formation, j’étais sur le terrain et cela dure depuis six ans.
Pourquoi avoir choisi d’enseigner les lettres bilingues ?
Tout me destinait à cet enseignement. Mon amour pour les langues d’abord, puis le choix que j’ai fait en entrant à l’Université. J’ai fait lettres bilingues jusqu’en troisième année du cycle Licence. La question de savoir ce que je pourrai enseigner ne se posait presque plus.
Est-ce commode d’être enseignante au Cameroun de nos jours ?
Commode, je dirai non. Parce qu’au Cameroun, l’enseignant n’est pas reconnu à sa juste valeur et c’est assez désolant pour un pays aussi riche et diversifié que le Cameroun.
« Nous sommes la fondation de toute société et notre absence dans celle-ci va forcément créer un déséquilibre. »
En ce 05 octobre, journée internationale des enseignants, avez-vous un message pour vos collègues ?
Le 05 octobre de chaque année, c’est la journée internationale des enseignants, c’est en ce jour que le monde entier s’arrête pour rendre un vibrant hommage à ces hommes et femmes qui se livrent à un sacerdoce particulier. Nous sommes la fondation de toute société et notre absence dans celle-ci va forcément créer un déséquilibre. Si nous venions à manquer dans une société, cette dernière manquerait à sa réalisation. Alors nous devons mener une lutte pour conserver la dignité de ce noble métier. Nous sommes, certes des soldats de la craie, mais des soldats tout de même.
Quels sont les prérequis pour exceller comme enseignant ?
Beaucoup de culture générale et l’amour du métier sont selon moi les principaux prérequis pour exceller dans ce corps de métier.
Dans une société fortement patriarcale comme la nôtre, est-ce facile d’être femme et enseignante ?
Être une femme qui travaille n’est pas toujours bien vu dans notre société, c’est assez difficile de s’affirmer, car pas toujours prise au sérieux. La femme, pour faire ses preuves, se doit de fournir plus d’efforts, sans compter que pour d’aucun notre place ne serait nulle part ailleurs qu’« à la cuisine ». Donc non, ce n’est pas toujours aisé.
« Aujourd’hui, on a des élèves/étudiants qui se permettent de proférer des insultes, des menaces à l’intention de leurs enseignants, voire se battre avec eux. »
Dans l’exercice quotidien de votre métier, quelles sont les altérités récurrentes qui vous désole ?
Les revendications des enseignants ne sont pas prises au sérieux, malgré le fait que ces derniers se trouvent être la base de toute société. Sans enseignant, on n’aurait pas de médecin, d’ingénieur, de pilote, voire de président de la République même, je dirai. De part cet aspect là, de nos jours l’éducation a perdu toute sa valeur d’antan selon moi. Les enseignants ne sont plus respectés comme c’était le cas avant. Aujourd’hui, on a des élèves/étudiants qui se permettent de proférer des insultes, des menaces à l’intention de leurs enseignants, voire se battre avec eux. A ce tableau désolant, vous pouvez ajouter l’abandon par certains parents de l’éducation de leurs progénitures.
Quel métier auriez-vous choisi si vous n’étiez pas devenue enseignante ?
Interprète ou pilote, je crois bien.
Avez-vous des motifs de fierté d’être enseignante ?
Bien évidemment ! Les relations humaines, le contact avec des personnes venant de plusieurs horizons, l’amour que renvoient les apprenants par satisfaction d’avoir acquis de nouvelles connaissances, c’est juste formidable. Il y a la joie que l’on ressent lorsque l’on croise son élève dans la rue et qui vous salue avec fierté, cette joie-là elle est incommensurable.
Comment voyez-vous votre avenir ? Toujours dans l’enseignement ?
(Rires) Malgré l’amour que j’ai pour ce noble métier, honnêtement j’ai d’autres aspirations et projets que je nourris.