Yaoundé, 02 juillet 2025 (CAPnews) – Au cœur des monts Mandara, seize complexes architecturaux en pierre sèche défient le temps depuis le XIIᵉ siècle. Ces structures cyclopéennes, désignées sous le nom mafa de Diy-Gid-Biy («Ruine de Demeure du Chef / Œil du Chef au sommet »), révèlent une ingéniosité technique exceptionnelle. Le site DGB-1, le plus imposant (1 680 m²), déploie des murs de soutènement atteignant 6 mètres de haut, des escaliers secrets, et des tunnels voûtés menant à des chambres carrées, probablement des postes de garde. Assemblé sans liant, cet édifice utilise des blocs de granite, basalte et quartz, savamment imbriqués selon quatre techniques distinctes : murs à double parement, contreforts, terrasses de nivellement et murs individualisés. Ces vestiges, bien plus que de simples amas minéraux, incarnent une réponse architecturale aux crises climatiques du XVᵉ siècle, lorsque des sécheresses catastrophiques frappèrent le bassin du lac Tchad.
Rituels hydriques et cultes de fécondité dans l’amphithéâtre de pierre
Si les bâtisseurs originaux demeurent une énigme, les Mafa, installés dès le XVIIᵉ siècle, ont investi ces ruines d’une sacralité vibrante. Chaque année, à l’orée de la saison des pluies, des sacrifices de chèvres, moutons ou bière de mil sont pratiqués sur les mbuloms (autels) pour apaiser les esprits ancestraux liés à l’eau. Ces cérémonies, codifiées en trois niveaux : communautaire, familial ou lignager, s’étendent aux mariages, naissances et visites officielles. Le site fonctionne comme un palimpseste rituel : les fouilles archéologiques y ont exhumé des foyers sacrificiels et des poteries anthropomorphes associées à des divinités hydriques, confirmant une continuité cultuelle depuis le Moyen Âge africain. Cette symbiose entre bâti et immatériel culmine lors du Maray (fête du taureau), où les terrasses de DGB-1, agencées en amphithéâtre, deviennent l’écrin de danses chtoniennes.

La vulnérabilité d’un patrimoine-relique
Malgré sa résilience séculaire, Diy-Gid-Biy affronte des périls contemporains. Le mur nord-est de DGB-1, rongé par l’érosion, subit un effritement progressif, aggravé par les racines invasives d’acacias qui disloquent les assemblages minéraux. Les pratiques agricoles, bien que participant traditionnellement à l’entretien des terrasses, empiètent désormais sur les plateformes cérémonielles, tandis que des blocs de pierre sont détournés pour construire des habitations modernes aux toits de tôle, une « saignée silencieuse » dénoncée par les archéologues. Plus alarmante encore, l’ombre de Boko Haram plane : en 2020, le village de Mondossa, voisin des ruines, fut incendié lors d’une incursion terroriste. Si les DGB restent physiquement épargnés, la menace pèse sur leurs gardiens mafa, dont les déplacements forcés pourraient rompre la chaîne de transmission rituelle.
11 Juillet 2025 : L’enjeu de l’inscription UNESCO
La décision imminente de l’UNESCO (11 juillet 2025) dépasse la simple conservation : il s’agit de corriger un déséquilibre historique. L’Afrique subsaharienne ne compte que 98 biens inscrits (8,47% du total mondial), une sous-représentation liée à la prédominance des canons patrimoniaux occidentaux. Diy-Gid-Biy et le site nigérian de Sukur partagent bien plus que la géographie, selon les archéologues les ancêtres des Mafa de Moutchikar viendraient de Sukur. Cette candidature, dans une région minée par Boko Haram, transformerait les pierres en « pont de paix », selon les chefs locaux. Une inscription consacrerait aussi l’exceptionnalité de son génie constructif : contrairement à Sukur, site habité, Diy-Gid-Biy est un « patrimoine-relique » réactivé par le sacré, ultime témoin de civilisations ayant maîtrisé la pierre face au chaos climatique.
Prochain article : Diy-Gid-Biy : Un témoin clé des échanges transsahariens
