Yaoundé, 24 octobre 2023 (CAPnews) – La ville de Yaoundé a accueilli du 14 au 21 octobre 2023, la 27ème édition du festival Écrans Noirs. Un événement qui fait toujours courir les amoureux du septième art. Moins d’une semaine après la clôture, CAPnews fait le point sur l’organisation ainsi que l’avenir du festival avec son délégué général, Bassek Ba Kobhio.
CAP News : Sur les 27 éditions que comptent le festival Écrans Noirs, que pensez-vous de celle qui vient de se terminer en termes de qualité et de satisfaction personnelle ?
Bassek Ba Kobhio : la dernière est toujours celle qui me donne le plus de satisfaction. Chacune d’elles vient toujours avec son lot d’inquiétudes, mais quand une se termine et qu’il n’y a pas eu de problème particulier, on se dit « ouf ! tant mieux ». Pour une fois, je n’ai pas été autant occupé que par le passé.
Pour cette édition par exemple quelles furent les inquiétudes ?
Il peut arriver que l’on ait des accords, mais que les moyens en espèces ne soient pas disponibles, pourtant le festival doit suivre son cours. Donc il y’a des chambres d’hôtel à payer, les billets d’avions et tout le reste… Ces problèmes se posent parce que certains de nos partenaires sont convaincus qu’Ecrans Noirs n’a pas besoin de ça, donc ils peuvent trainer. Heureusement, nous avons eu cette fois à la banque une ligne de découvert, du coup des situations où il faut par exemple que je paye certains frais de ma poche ont été évitées.
Durant la cérémonie de clôture, Jean Marie Teno a émis le vœu de voir créer une catégorie « Documentaire camerounais » au palmarès du festival. Qu’avez-vous à répondre à cela ?
Le documentaire camerounais ça fait 5 ou 6 ans qu’on le fait. Quand on n’a pas de film-documentaire camerounais fort, on range les quelques uns qui sont bons dans la catégorie « Documentaire ». Mais il dit de faire plus de place aux documentaires camerounais, c’est parce qu’il a ses ateliers qu’il anime. Mais les films qui en sortent, je ne peux pas les présenter ou les mettre en sélection au festival à cause de leur qualité. Dans notre palmarès nous avons souvent mis les documentaires camerounais en compétition à part. Quand, nous n’avons que deux ou trois films de qualité, on ne peut pas les mettre en compétition. A l’avenir je demanderai, peut-être, qu’on remette en compétition les documentaires court-métrage pour qu’il y ait plus de films.
Avec la prolifération des web-séries, est-ce qu’à l’avenir ce domaine peut s’insérer de façon durable en tant que catégorie primable aux Écrans Noirs ?
Il faut y réfléchir parce que les Écrans Noirs sont avant tout un festival de cinéma. Mais si je vois que le mouvement se structure comme à Douala actuellement, peut-être qu’on fera une présélection de ces séries là, là-bas chez eux. L’autre problème, c’est qu’au Cameroun, les web-séries durent pour certaines jusqu’à 15 minutes au lieu de 5, qui est la norme.
Quel regard portez-vous sur l’état actuel du cinéma au Cameroun ?
Le cinéma du Cameroun a progressé. Les Ecran Noirs n’y sont pas pour tout mais nous y avons joué un rôle, notamment de par la qualité des films que nous avons contribué à promouvoir. Aujourd’hui il n’y a plus aucune compétition en Afrique, ni festival où un film camerounais ne figure pas au point même de gagner un prix, le cas du prix Sembène Ousmane au Fespaco, le plus prestigieux pour moi, remporté par un camerounais.
Lors de l’hommage à Ousmane Sembène vous déclariez souhaiter que le monument en son honneur soit érigé au lieu-dit « Carrefour Abbia ». Qu’est ce que ça vous inspire de voir que cette place sera située à coté d’une salle de cinéma qui n’existe plus ?
Peut-etre que cela incitera les promoteurs à baisser leurs intentions et faire en sorte que le cinéma revienne. Moi ce qui m’importe c’est que Sembène ne soit pas mis n’importe où. A coté, nous menons des actions dans le sens de la réouverture des salles. D’ailleurs nous sommes entrain de finir la construction d’une salle. Nous en parlerons plus dans quelques mois lors de l’inauguration. Elle sera au cœur de la ville, mais pour l’instant je ne peux pas en dire plus.
Il y a deux ans, vous déploriez lors d’une conférence, le rapport de la salle Canal Olympia aux films camerounais. Est ce que cette salle en construction est une réponse à ce grief là ?
Non. Ce que je déplorais c’est que cette salle ne soit pas ouverte aux étudiants, puisqu’elle avait été construite en plein campus universitaire. Lors de l’inauguration de Canal Olympia, Bolloré – le promoteur – disait donner une salle d’application aux étudiants en arts cinématographiques de l’Université de Yaoundé I. Je ne suis pas sûr, qu’ils aient jamais été là-bas pour une application.
Il a fallu attendre 25 ans pour voir un film camerounais remporter l’Écran d’Or, le prix le plus prestigieux du festival Écrans Noirs. Pourquoi autant de temps ?
Il a d’abord fallu 10 ans pour voir un film camerounais aux Écrans Noirs. Il faut mériter d’être aux Écrans Noirs. Ce n’est pas un hasard si le premier film camerounais à avoir remporté l’Écrans d’Or – The planter’s plantation d’Eystein Y. Dingha -, a remporté le prix Sembène Ousmane au Fespaco. Je n’ai jamais influencé le jury.
Aux assises de la production nationale, la question des divisions – notamment entre parties francophone et anglophone du pays – a été évoquée comme frein au développement du cinéma camerounais. Avez-vous essayé de réunir les acteurs du Cinéma camerounais pour les faire parler d’une seule voix ?
Chaque fois que j’en vois j’en parle. Maintenant pour ne pas juste faire des discours, je produis aussi un film anglophone pour aller concrètement dans l’affaire. Je souhaite que francophones et anglophones coproduisent des films. On en profitera tous parce que le cinéma anglophone jouira des financements disponibles en zone francophone, et le cinéma francophone jouira des plates formes plus ouvertes sur le cinéma anglo-saxon. Au Cameroun nous avons l’avantage de posséder l’anglophonie et la francophonie, il ne faut pas passer à coté.
Dans quelle mesure est ce que la réunification de ces deux cinémas peut aider à résoudre la crise anglophone qui touche le pays actuellement ?
Je souhaite que bientôt sorte un film qui pose ce problème là. Les cinéastes sont aussi des leaders d’opinions. A Bamenda, Buea, Douala, Yaoundé, s’ils se mettent à travailler ensemble tout le monde fera le constat qu’être anglophone ou francophone n’empêche pas de travailler ensemble. Quand The planter’s plantation gagne le prix Sembène Ousmane, on ne dit pas le Cameroun anglophone mais bien le Cameroun. A mon niveau je peux créer des conditions pour que les gens se rencontrent.
Après 27 ans à piloter les Écrans noirs, pensez-vous à passer la main bientôt ?
Pour passer la main, il faut l’organiser. Cette année est l’une des premières où je regarde les choses à distance. Les sélections, le palmarès, j’en ai pris connaissances après pleins de gens. Je suis entrain d’organiser ma succession. Mes collaborateurs savent qui peut faire quoi si jamais je ne suis pas là aujourd’hui.
Verra t-on encore un film réalisé par Bassek Ba Kobhio ?
Là, il me reste quelques mois pour finir le film sur Ruben Um Nyobe. J’en suis aux ¾ du film. Peut-être faire encore une fiction. Hier, j’étais avec Joseph-Antoine Bell et Roger Milla qui me racontaient leur enfance à Eclair de Douala, un autre sujet de film qui me tient à cœur.
Vous êtes une légende du cinéma camerounais, voire africain. 30 ans après votre premier film à succès, comment arrivez-vous à vous motiver après tant d’années ?
Chaque jour est nouveau. Je suis passionné, c’est ça mon secret. Dans le cinéma si vous n’êtes pas passionnés vous n’y arriverez pas. Aujourd’hui les jeunes vont vers des carrières pas par passion, mais parce qu’ils pensent qu’il y’a de l’argent facile à faire au bout. C’est compréhensible vu le contexte, mais dans le cas du cinéma c’est à éviter.
Vous avez été sollicité plusieurs fois pour occuper un poste de ministre au Cameroun. Pourquoi avoir refusé ?
Je suis trop libre pour accepter cela. Quand vous acceptez certains postes, vous êtes une sorte de caporal désormais. Vous avez une loyauté à développer par rapport à ceux/celui qui vous a mis là. J’ai choisi le cinéma parce que je voulais être libre. Dire ce que j’ai à dire sans qu’on ne me censure. Mitterrand disait « Quand on est ministre, on ferme sa gueule ou on démissionne » voilà.
Lors d’une interview sur un média marocain, vous disiez ne pas savoir après chaque édition, si vous les Ecrans Noirs reviendront l’année d’après. Aujourd’hui avons-nous la certitude que les Ecrans Noirs reviendront pour une 28 e édition en 2024 ?
Il faut toujours que la prochaine édition soit un challenge. Celle-ci on l’a terminée plutôt bien. Il n’y a pas de raison qu’on ne reparte pas au palais des congrès l’an prochain.